lundi 7 juillet 2008

Parce que c'était Garett, parce que c'était Elbertina

Ah! Ce n'est pas la première fois que cela lui arrive.
Mais là c'est particulièrement intense, Elbertina DOIT se taire : nonononononononon, elle n'est pas amoureuse, jamais de la vie. C'est pas son genre. Elle peut dire comme L.F. Céline :"L'amour, c'est l'absolu mis à la portée des caniches", ça la fait même pas rigolée, juré, craché, croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer!
Sauf que la pauvre Elbertina, en enfer, elle y est déjà.
Parce que farouchement, elle aime Garett. Elle arrive des fois à faire juste assez semblant pour croire elle-même que c'est pas le cas (enfin presque...)
En plus, Garett - même s'il jurera devant tous les dieux le contraire - il aime bien qu'on lui mente et s'il ne se retenait pas, il dirait : " Oooh Elbertina mens-moi, oh oui plus fort, encore" mais non il peut pas faire des trucs comme ça, c'est dégoûtant, mais enfin, voyons.

Alors elle, tu vois, elle racle le parquet avec ses dents, l'amour est comme une gargouille qu'elle aurait avalé, et putain ça pèse une tonne.
Elle dit sans rien dire, la pauvre, et c'est épuisant, elle qui est à plus à l'aise dans de gros sabots plutôt que juchée sur des talons aiguilles.

Garett est un habitué des messages sibyllins, et il la submerge de textos toute la journée (si ça c'est pas de l'amour, c'est de la rage, se dit Elbertina, ou peut-être bien les deux!), ces textos semblent tous annoncer le Grand Schelem du Mal, l'Apocalypse, Armageddon, la fonte accélérée des glaciers, ou tout ça en même temps. Non en fait, Garett souffre ou est en joie, ce qui ne mérite rien de plus qu'une consécration universelle.
Elle répond en tremblant, de peur qu'il ne lise entre les caractères l'amour qu'elle ressent pour lui. L'omniscience de Garett n'a jamais été remise en question, après tout.

Et puis, il n'y voit que du feu! Du feu, ah! S'il le voyait ce feu qui la consume, ah!

Parce qu'Elbertina est comme ça, elle fait des blagues comme ça, vachement drôles, et qui la font rire qu'à elle.
Quelle force de la nature!

Des fois, Elbertina et Garett se retrouvent dans la même pièce. Et même dans le même lit.
C'est le cas, ce soir.
Elle l'écoute parler de gens dont elle se contrefout complètement, elle se dit qu'elle préfère les messages auxquels elle ne comprend pas grand chose.
Garett est un poète, ça excuse tout (même si Elbertina pense secrètement qu'elle est bien meilleure que lui. Elle ne le dit pas, il pourrait se sentir castré/ decidé de ne plus manger que du riz en signe de protestation / cessé la seule activité à peu près intéressante de sa vie)
Garett est un poète, mais il a peur des femmes.
Tandis qu'Elbertina rêve aux poèmes d'Eluard, Garett lui raconte son désir de ne plus jamais avoir de rapports sexuels de sa vie. Le sexe, c'est sale et ça ne sert à rien (Elbertina penserait " comme ta poésie, ducon" si elle s'en laissait le loisir)
"Le sexe, ça n'a pas de sens, c'est un frottement pervers puisqu' absurde, une erreur de la nature, je veux être un pur esprit, dépasser les contingences du corps, je veux être libre!"

Quelques heures plus tard, Elbertina, les yeux grand ouverts, écoute Garett respirer. La gargouille se fait un peu moins digeste. Sa main parcoure une distance qui lui parait infinie, et puis l'air de rien, les mains se rejoignent, les caresses s'échangent, se délient...
Mais alors, comme il faut faire comme si l'on ne faisait rien PAS VU : PAS PRIS, c'est méga ennuyeux de la mort de l'art.
Elbertina se demande donc ce qu'elle fiche là... Et puis elle se souvient : l'amour! Elle finit donc par se confier à Garett, dans un accès désespéré d'espoir hystérique : "tu sais Garett je crois que j'ai des sentiments pour toi, je crois que je t'aime Garett, vraiment! JE T'AIME, BORDEL, TU COMPRENDS ?"
Alors Garett lui dit, furieux :
"QUOI? Mais je croyais que tout allait bien entre nous! Que tu étais avec moi pour ce que j'étais! Je suis DECU, terriblement DECU. Tu me trahis, Elbertina, tu fais de moi un homme et maintenant, tu jettes tout ça à la poubelle, tes sentiments sont rien, Elbertina, c'est RIDICULE. Je ne veux pas m'abaisser à ça, je ne peux plus te voir, PUISQUE TU M'AIMES, TOUT EST FINI ENTRE NOUS!"


Deux jours plus tard, Elbertina reçoit un sms de Garett: "oh le chant des oiseaux remplit mon coeur d'une douleur paradoxale mais néanmoins insouciante et éthérée, j'avance seul dans un paysage de tourmente idolatrée par la musique des anges déchus de la nostalgie, ignoré par les autres, ces ignorants infatués de leur propre gargarisation; c'est mon destin"

Et c'est reparti pour un tour, se dit-elle en soupirant.


..............

***Ceci est un message de l'amicale des bloggueuses en Poitou Charentes militant pour.***

Merci à Sygne et à Abs de m'avoir encouragée à écrire un truc pareil , hahhaha, et non merci au Bob qui m'a permis de le faire, re hahahaha


samedi 5 juillet 2008

1 2 3 4

Ecrire sur la confusion, voilà ce que m'avait conseillée un type la quarantaine il y a quelques années en arrière. Je lui avouais cette impossibilité. Il me disait "matériau", il me disait "courage".

Il me disait "originalité".

Il avait de la bouteille, je pensais, alors je ne disais (plus) rien. Je me débattais, pauvre moustique avec l'idée d'une lumière si brillante qu'elle avait tout de la mort, par l'effacement des sens.

Pourtant s'il y avait de quoi débattre, j'étais une artiste. Mais l'incertitude et le doute, et le ridicule, réclamer cette place, se la donner, s'y conforter. Quelque chose qui ne sonnait pas bien, qui ne faisait pas sens, qui n'avait pas de chair.

Et pourtant, il fallait naître en tant que tel, pour croire avoir sa partition à jouer, floue et inaudible. Une chanson non identifiable, un air dont on ne possède que les premières notes et qui tournent en boucle sans jamais trouver sa suite. Royale, d'ailleurs, la suite, si l'on en croyait les fantasmes qui la constituaient.

Il fallait lire et s'émerveiller, il fallait savoir regarder, et chaque instant avait sa poésie, et son mensonge.

Il aurait fallu aussi pouvoir baiser, pour l'éveil des sens, et pour la qualité intellectuelle.

Et puis il y a eu des déflagrations lancées ça et là, ces virtuelles, celles qui voudraient bien remplacer les réelles, de sacrées mines anti-personnelles, sans aucun ennemi en vue.

Il y a eu ce putain de moi romantique qui collait (colle encore) aux baskets - que je ne porte pas - comme un vieux chewing gum, la souffrance pour se (s'é (pou))vanter quand il faisait trop chaud.

Que de remarquables moments, vraiment.

Et puis, il y a eu la parole qui émergeait, une voix qui ne souciait plus de jouer un air certain.
Ca a donné un certain air d'audace, un sifflotement gracieux, toujours fragile.

Et puis,


et puis quoi,

il ne s'est rien passé ou presque.

Sinon l'amour que l'on se fait.

Et depuis je n'écris plus ou presque.

Chaque jour, je deviens un peu plus mortelle.

Et, ce serait mentir si je disais que je n'aime pas ça.

vendredi 13 juin 2008

Pregnant




Voilà c'est ici, c'est l'endroit rêvé, celui qui transformé par la confusion devient un refuge. Un lieu sans charnières : sans ornières.

J'en ai rêvé longtemps sans savoir qu'il faisait déjà partie de moi.
C'est ma maison, celle que je n'ai jamais habité. Et celle que je n'ai jamais quitté non plus.

On a tous lu ça et là des histoires de greniers, de lettres d'amour précieusement sauvegardés (et pour qui au fond?), sautant une ou deux générations, on retrouve les émotions intactes, le chemin du temps, une irréalité si prégnante que l'odeur du papier vieilli nous évoque la vie d'une époque où celui-ci n'avait pas vraiment d'odeur...

Ici, ce sont les murs qui deviennent un roman. La baignoire qui a une centaine d'années, et qui n'a plus été rempli depuis des dizaines d'années. Le sol qui craque, les cartons remplis de vieux disques, de vieux livres, de vieux riens.

L'immense hauteur de plafond. Et la fenêtre qui courent du sol jusqu'au ciel défini par le toit. La saleté partout, la capitalisation de la poussière.

Un monde infiniment habité, et aussi vide qu'il doit l'être.

J'ai souvent fermé les yeux, laissant vivre ce désir que je ne comprenais pas.

C'est un rêve qui m'a rappelée que ce faux grenier, ce deuxième étage inhabité de ma maison d'enfance, de la maison est devenue bien plus que cela depuis que je l'ai quittée, mon innocence perdue, un talisman égaré.

C'est mon ventre qui abrite maintenant ce foyer. Et assise par terre, réchauffée par la lumière, par les craquements silencieux du bois, de sa vie mystérieuse, je porte l'enfant que je suis.

Cette enfant qui reste à naître.

jeudi 15 mai 2008

Ne te découvre pas d'un fil

Je vis ailleurs. Je laisse la fenêtre ouverte quand je m'en vais. Et le chemin que je parcours jusqu'au centre s'allonge sous le soleil comme une ombre qui grandit, exponentielle. Il y a d'abord rien, puis les gens, des gens comme moi, qui marchent. Je les reconnais tous. Ceux qui peuplent les bars aux premiers rayons lumineux, ceux qui dans un périmètre serré fument leurs cigarettes, l'espace aux grands airs qu'on leur a réservé. Je me surprends à faire un peu de géométrie, moi qui aie toujours été nulle en maths. Un globe, un néant. L'un de ces 428 langages que je ne sais pas parler au sein de ma propre langue. Je forme des demi-cercles avec ceux qui sont très occupés. Je n'ai pas le courage de les affronter. Laissons les chiens aboyer. Garder un lieu qui n'existe pas.

J'ai l'esprit affuté comme l'angoisse qui revient me visiter : je vis des temps cléments.
Des mots qui se bousculent et meurent je-ne-sais-où. Je continue, je sais où je dois aller, à défaut de savoir où en finir.

Je vois grandir un refus net et sans bavures, mieux qu'une amputation, une coupure providentielle. Fin des programmes, grisaille cathodique. Une image exclusive, la mienne ou une autre, l'annulation des restes en bonne et due forme.

Un non sans mais, fais ce qu'il te plaît. Et un joli moi de mai.



vendredi 25 avril 2008

Chers cousins, cousines, je déménage...

Pas de blog, non.

Mieux encore : de chez moi pour chez nous (c'est pas trop love, ça?)

Je vous prie de croire à ma considération distinguée blablabla mais je vais souffrir pendant un petit moment d'un désaccès au net (quitte à en n'être plus une de ses désaxées, ahahahah qu'est ce qu'on se marre).

J'aurai l'occasion de lire mes mails toujours, mais pas de venir ici, ni de vous lire, puisque le méchant proxy de mon travail ben il dit que le contenu de tous les blogs, il est dangereux pour la race humaine toute entière...

Ooooh l'Education Nationale resserre la vis moi je vous le dis Madame c'est un fait.

(résistons à la tentation d'un jeu de mot épin(al)eux, sur les vices tout ça)

Ne vous inquiétez pas, je continuerai à être en panne sèche d'inspiration comme ces derniers mois donc au fond vous ne raterez rien si ce n'est mon amour profond et bienveillant à tous égards et pour vous, mes petits.

Je vous quitte donc la larme à l'oeil et la clope au bec, mais je reviendrai plus forte que jamais ET avec une scoliose.

Parce qu'à trop soulever des cartons, on se fait un dos de sax baryton.

Vogue donc galère et que Dieu vous bénisse.

mardi 22 avril 2008

Meet your Maker

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J'avais mes écouteurs sur les oreilles et le type-là à côté de moi, c'était comme s'il s'était mis à chantonner ce que j'écoutais. Sans le savoir, et en se mettant pourtant dans une volonté confuse à mon diapason, après avoir lorsque je m'étais assise à ses côtés retiré un pan de sa veste d'un geste méprisant.

J'ai pensé que si l'on me pinçait, là de suite, je serai comme une corde tendue, et je produirais exactement la bonne note, le bon son au bon moment, l'accord autour duquel s'articulerait un passé révélé, un futur éventé.
Quelque bon cliché littéraire qui vaille pour dire qu'en une seule seconde, tout a changé, jusqu'à ce qui pourtant ne le pouvait pas.



Alors est-ce cela mon amour le désir unique de ta silhouette qui se découpe, une enveloppe en ombre chinoise, un espace où seule, même ton absence m'éclaire?



mardi 8 avril 2008

Lettre à contre-courant

Je t'écris. Je ne sais pas si tu le sais : j'ai quelques prétentions de ce côté-là, prétentions qui font que maintenant que je prends la plume pour toi, j'aimerais dépouiller les mots de ce que je suis capable de faire, de ces images que je sais faire naître, si prescientes.
J'ai le lyrisme que je porte comme un sac en bandoulière, qui m'aide à considérer le monde d'une certaine façon. Le sac malgré l'image, je ne le porte pas sur mon flanc, mais en moi.

Je ne t'écris pas pour te remercier de l'argent que tu m'as donnée (Je te remercie quand même, la vie va m'être plus douce quelque temps, et ça, c'est précieux, et grâce à toi). J'y pensais depuis longtemps, à t'écrire, et puis, je n'ai jamais osé. Sauter une génération, ce n'est pas si facile. Mais je rêve tellement d'une transmission, de ce récit familial que l'on m'a refusée jusqu'ici qu'au fond, je n'ai pas le choix.

Je dois essayer, au moins.

Je comprendrai si tu refusais de me faire le récit de ta vie... Ce n'est pas non plus aisé. Que choisir... Déjà à mon âge, je me demande souvent entre les rêves que je fais dans mon sommeil et ce que je vis, ce qui mérite la peine d'être écrit, quelle trace laisser...

Mes parents se sont beaucoup protégés, je crois, en omettant de me raconter certaines choses. Ils pensaient sûrement me protéger moi, mais je ne pense pas que ça ait vraiment marché.
Je suis maintenant en attente de vérités (aussi relatives soient-elles), non pas pour définir la personne que je suis, mais pour mieux nous comprendre.

J'ai toujours cru que je pourrais trouver un interlocuteur en toi, et j'ai toujours été frustrée que cela ne soit pas le cas, et un peu déçue aussi. Alors, j'ai envie de forcer le destin, sûrement parce que le temps presse...

Mon autre grand-père est décédé comme tu le sais, cette mort ne m'a pas tant pas atteint affectivement, si ce n'est par rapport à mon père. Mais, il y a quelque chose comme une conscience accrue de ma propre mortalité. J'en ai récolté assez de preuves jusqu'ici en fait...

Je l'écris en souriant, parce que je crois que ce n'est pas si faux que ça... Tellement de gens vivent comme s'ils n'allaient pas mourir. Je n'ai pas très envie de faire comme eux.
C'est sûrement un peu naïf, dit comme ça.

En tout cas, je ne voudrais pas laisser passer cette chance de correspondre avec toi tant que nous sommes tous les deux ici.

Me voilà, sur le chemin qui va à ta rencontre. Je la désire plus que tout, si tu savais...

En réfléchissant à tout ça ces derniers jours, un souvenir de quand j'étais très petite m'est revenue.
Je pense que j'avais moins de 3 ans, parce que Thomas n'est là nulle part, et encore moins Pierre. Peut-être est-ce même le premier souvenir le plus clair, le plus lucide que j'ai.

Nous étions dans votre appartement à Lyon, c'était Noël. Ma mère et Mamie m'avait habillée et coiffée, j'avais deux tresses de chaque côté du visage qui se refermaient comme une couronne sur ma tête... Je me regardais dans la glace, une jolie petite fille, et des instants iréels de bonheur, tellement qu'aujourd'hui, quand j'y repense, c'est une petite fée que je vois.

Tu te souviens que j'étais fascinée par votre lampe dans le salon, celle dont on pouvait réguler la lumière avec un bouton ? Moi, je m'en souviens tellement bien que je peux encore visualiser le boitier et la sensation sous mes doigts quand je jouais avec. Evidemment, à l'époque, je ne savais pas à quel point l'ampoule halogène était fragile - et chère aussi. Toujours est-il que je ne pouvais pas m'empêcher d'y revenir à cette lampe, à ce bouton. J'essayai de la baisser au maximum, je voulais comprendre à quel moment la lumière n'était plus, à quel moment on passait du jour (même artificiel) à la nuit. Il y avait toujours quelque chose de brusque dans la façon dont l'absence de lumière s'imposait, j'ai dû essayer des dizaines de fois, il n'y avait rien à faire...

Et puis ce soir-là, déjà magique par les cadeaux que promettaient le lendemain, ce soir-là, il a neigé. La neige, ce n'était pas original, je ne crois pas que c'était la première fois que je la voyais. C'était autre chose sa présence, c'était ma première rencontre avec la beauté, la beauté douloureuse, éphémère. Je ne sais pas si je suis restée longtemps à regarder, à travers les portes-fenêtres, le contraste du noir d'encre de la nuit et la blancheur des flocons... Je crois que pour la première fois, je découvrais le relief incroyable de la vie, et son mystère aussi...

C'est sûrement cet instant que je poursuis toujours sous ma plume, que je cherche toujours à revivre... Et à transcrire.

Au nom de cet instant, je voudrais que ce que je connais de toi ne disparaisse pas tel que c'est aujourd'hui, je voudrais que les souvenirs que j'ai de toi acquièrent eux aussi le relief et le mystère de cette nuit-là.

Au fond, je n'ai pas grand chose de plus à dire, c'est entre tes mains maintenant... Et je respecterai ce que tu décideras, quoiqu'il en soit.

Je t'embrasse fort,

Emilienne



(manque plus qu'à la poster...)

dimanche 16 mars 2008

Effectivement

j'ai des visages au bord des yeux
des visages comme des portes
grinçantes
j'ai des mots au bord de l'épuisement généralisé
il suffit juste d'un peu les pousser
pour les voir mourir dans les lagunes
d'autres esprits, de gens que je ne
connais pas

j'ai des divisions internes à en faire pâlir le parti socialiste

des tergiversations avec rien, des rires nihilistes expédiés sur des chemins coupés en quatre

je ne parle pas de mes cheveux, siège de mes obsessions
elles s'y assoient et devisent, ces vieilles dames un peu bigotes ont trouvé leur lieu commun
elles prennent le thé, lève un doigt mouillé pour savoir d'où la pluie va venir

elles essaient de faire la balance avec le vent...


j'ai la rumeur
en trois cent millions de bruits extérieurs

et moi, et moi, et moi

et puis : mon surmoi s'est mis au chômage, il a troqué son costard cravate contre un survêt' crasseux

est-ce bon signe, n'est-ce pas?


dimanche 9 mars 2008

Que sera, sera

Je n'ai plus d'adages
à donner en partage : écoute
....... mon ventre, zone fragile,
et le jazz, même si.

j'ai toujours mal au-dedans,
je ne suis pas résolue
au manque d'harmonie ....... comme harmonie
mais je suis convaincue par
la musique du hasard

en notes 'de blog'
et la voix intime
qui efface et maintient
la pudeur, corde, et liane tranche l'espace vide
en se balançant
ironique
et d'un côté le choix et de l'autre
rien.

je suis pieds et poings liés

à une tentation
...............qui ne me tente pas

à des cauchemars qui
..........ne m'effraient pas

à un fantôme
...............................qui ne me hante pas

je n'ai plus d'adages
à donner en partage


je n'ai qu'une parole.

.

jeudi 6 mars 2008

Elsa (5)

Elle est assise au fond de la salle, enfonçant son opulence avec béatitude dans le fauteuil de velours rouge.

La maladie n'est pas loin, à lui mettre l'esprit coupé en quatre, mais en une espèce de miracle, elle a retrouvé quelque peu de sa conscience, de sa liesse.

Elle doit soutenir celui qu'elle aime, le voir dans la lumière avant qu'elle n'entre dans l'ombre - elle se dit ce genre de choses, oui, avec un peu d'ironie et de la tendresse, plus pour elle-même que pour lui.

Elle sait qu'elle s'est mal comportée, qu'elle l'a convoqué à sa colère, à cette rage qu'elle se trimballe partout, qui masque moins sa peur qu'elle ne le pense. Elle a dit des mots plein de hargne, des phrases irréversibles : Des tas d'accusations proférées à tort qui ne l'ont pas le moins du monde soulagées.

Elle sourit parce que ce serait tellement surprenant qu'elle ait raison qu'elle ne comprend plus ce que sa tête s'efforce de nuancer avec ses à tort, comme si elle repassait au stylo rouge accusateur certains méandres de sa pensée.

Dans la pénombre, elle perçoit à travers ses yeux fermés la différente luminosité des images qui défilent, elle sent la peur rôder, même si les médicaments l'émiettent considérablement.

Pour qu'elle retrouve son unité, pour qu'elle l'affronte, il faudrait qu'elle parte à sa recherche comme le Petit Poucet l'aurait fait.

Elle pousse un soupir, elle est bien trop fatiguée.

Et puis, elle devine sa présence dans l'ombre, elle sait qu'il est tendu vers son discours, vers les yeux des spectateurs. Il parlera comme il sait si bien le faire. Et à cette idée, elle se sent envahie par un immense sentiment de repentir et de désarroi...

Pourrait-il l'aimer encore? L'a-t-elle trop abîmé?

Son cœur bat plus vite et elle suffoque presque, lorsqu'un main secourable vient attraper la sienne.

Elle qui se croyait seule! Mais non... Elsa est assise à côté d'elle. Ah! La pauvre gosse...

On dirait qu'il y a quelque chose de brisé chez elle : elle semble abriter une pièce qui renferme un trésor fabuleux, mais dont la poignée serait cassée. On pourrait regarder pour le trou de la serrure pour s'en faire une idée... Mais même Elsa n'ose pas.

Hortense pourrait lui dire ce genre de choses mais elle a perdu la manière, avant de les avoir perdues toutes.

La lumière se rallume... Et les applaudissements grossissent tandis que Simon entre sur scène.
Elle n'en croit pas ses oreilles quand au bout de quelques minutes, elle l'entend prononcer son prénom, Hortense comme étiré dans un sourire, une reconquête, une grâce.

Elsa l'aide à se lever et l'accompagne jusqu'à la petite estrade.

Et devant cette centaine de personnes, Simon se prend à l'écraser de mots de dépit, et de haine.

Elle se laisse tomber sur la scène, estomaquée, elle ferme les yeux, et couvre ses oreilles de ses deux mains bien qu'elle ne comprenne déjà plus un traître mot de ce qu'il dit.

Il ne lui laisse plus aucun répit et continue à lui assener sa terrible justice sans qu'elle ne puisse se défendre. Seule Elsa à ses côtés la soutient, tandis que le public peut la voir, rouge de pleurs, bavant et gémissant une souffrance qu'elle ne peut pas endiguer.

Puis tout s'efface sans qu'elle sache comment, les bruits et la lumière s'éloignant doucement jusqu'à se taire.

***

Elsa était en train de préparer la salade quand Hortense vint la voir et lui dit : "hier j'ai rêvé de toi, et il y avait mon mari aussi, qu'il était beau!"
Elsa sourit et l'embrassa.

mardi 4 mars 2008

A la chaîne

Ardalia m'a enchaînée, afin que je fasse un petit topo sur ces blogs dont je guette les flux RSS...
Comme elle le souligne si bien, plus que de blogs, il s'agit de personnes, avec qui l'on partage quelques bouts de mots, de vie... Une façon de dire : "regardez ce que je lis, vous verrez qu... c'est vachement bien"
Bref, je me lance.

Ab6 désordonnée
... Ca doit être le blog que je suis depuis le plus longtemps (2 ans et des poussières), une femme comme on en fait plus (comme on en a jamais fait?), avec des histoires aux confins du tragi-comique... (ça le fait, hein?)

Plus récent, mais tout aussi admiré, le blog de Sygne : Mal Femmée, elle est infiniment poétique et généreuse quoiqu'elle en dise.

Il y a aussi Charlotte, passionnée et passionnante, dont je suis les pérégrinations plutôt rocambolesques. :)

Mlle Bille
, à la gouaille hystéro-comique et à l'imaginaire enfoncé les pieds dans le plat.

Ardalia elle-même, que je lis et avec qui je devise de la même manière : humblement et sans tabou, avec des vrais morceaux de rires.

Zoridae, une belle écriture, une belle personne. Un beau roman, bientôt?

Voilà, voilà, la patate est à qui n'en veut...

samedi 1 mars 2008

Il n'y a pas de fumée sans feu

C'est la veille de Noël. 1986, mon frère n'est pas encore né. J'ai deux ans. Je dois faire la sieste, mais déjà, je n'aime pas dormir.

Plus tard, je dirai : "dormir est une perte de temps", et cela fera sourire mes parents. L'adolescence viendra et une dépression muselée, qui me sera étrangère, ce sera celle de l'autre, celle qui se tait ou qui hurle, celle avec qui je me fondrais dans un sommeil pénible, comme si l'oubli pouvait se rattraper.

Je descends les escaliers, seule. Ils sont raides, et semblent interminables, une marche après l'autre, je me laisse glisser. Je n'ai pas vraiment peur, puisque je suis toute à l'appréhension du refus de ma mère, de son impatience à me voir debout, éveillée. Je marche jusqu'à la cuisine où je me souviens avec netteté non pas de l'odeur, mais de ce qu'y prépare ma mère : des dattes, des fruits secs dans une robe de pâte d'amande. Il y a d'autres personnes, je peux en percevoir les éclats de voix, leurs mouvements affairés, déliés, leurs corps qui en préparant le repas, sont tendus comme une corde raide, traversant le temps vers la soirée qui se déroulera d'ici quelques heures... Je le sens, comme je sens aujourd'hui le clavier sous mes doigts.
Je n'ai cependant d'yeux que pour elle, m'attendant à ce qu'elle s'énerve, et puis, non. Elle me prend dans ses bras, elle m'explique ce qu'elle prépare, que c'est trop chaud parce qu'il y a aussi du caramel alors qu'on ne peut pas le manger pour le moment. Je me sens envahie par un immense soulagement, alors elle m'aime? Interrogation inquiète... Le fait qu'elle ne me refuse pas ne tend pas à répondre à cette question définitivement, je me sens simplement chanceuse.

Quelques années plus tard, une autre maison, une autre veille de Noël, la sieste toujours impérative. Je ne veux pas aller me coucher, comme à mon habitude. Elle m'emmène dans sa chambre, et se couche à mes côtés. Je la sens près de moi... Quelle joie, je peux profiter de sa présence, qui me rassure, je n'ai peur de rien, au fond, si ce n'est de la place qu'elle a pour moi et qu'elle laisse trop souvent vide, si ce n'est de son absence, donc.
Quand je me réveille, je suis surprise d'avoir dormi, et je me sens comme trahie. Elle a usé de son pouvoir pour m'obliger à faire ce que je n'avais pas envie de faire.
Elle enfonce le clou en me disant d'une voix un peu sarcastique "ah ben tu vois".
Elle ne se rend pas compte...

J'ai 15 ans et je hurle, et je pleure, et je m'effondre sur moi-même et en moi-même, de rage, de frustration, de désespoir. Sauf que je ne le sais pas. Je ne sais pas pourquoi je suis dans un tel état, je ne comprends pas ce qui m'a amenée là. Je viens simplement de me disputer avec ma mère, à propos de rien, de tout, je ne sais même plus.
Elle me regarde avec un dégoût et un mépris qui me giflent et stoppent la crise, elle se moque de moi, je me donne en spectacle, je ne sais pas me tenir, je suis excessive, irraisonnée, inappropriée. J'ai le goût salé de mes larmes et de ma morve dans la bouche.
Les raisons de ma conduite se perdent inexorablement dans une honte immense, un bloc de béton qui m'empêche de respirer convenablement.

Je réapprends en fumant mes premières cigarettes.

J'ai 23 ans et je suis assise sur le canapé aux côtés de mon fiancé, que je présente à ma famille. J'explique à mon grand-père que je vais reprendre mes études. Ma grand-mère demande à ma mère comment je vais faire pour vivre. Après tant d'années perdues à échouer (à être échouée), je n'ai plus droit aux bourses. Je travaille depuis 3 ans et me débrouille par moi-même. Ma mère dit un peu vite, un peu méchamment que je vais travailler, que je n'ai pas le choix. C'est le langage de ma mère, ça, l'échec, je ne mérite plus d'aide, ni de soutien, selon elle. Elle affirme ça en oubliant gracieusement que seul mon père m'a aidée matériellement, et puis, j'ai beau cherché, il ne me semble jamais avoir réussi à ses yeux, avoir jamais eu quelque chose que j'aurais maintenant perdu par mes erreurs. J'ai toujours été en dehors de son cadre, m'efforçant de l'y rejoindre, creusant ma névrose, creusant ma propre tombe. Le choix même de ce que j'ai décidé de faire à l'université est une tangente qui met mal à l'aise ma mère, et lorsque je dis "je vais étudier la psychologie", elle rit nerveusement, pour montrer qu'elle ne croit guère à la consistance de ma décision, sûrement pour se protéger, et pour retrouver un semblant d'emprise sur moi.
Comme lorsqu'elle m'a demandée au restaurant quelques jours plus tôt ce que j'ai appris de ma psychanalyse. La seule réponse qui m'est venue, rageuse est que c'est elle qui aurait dû être elle à ma place, dans ce cabinet, sur ce fauteuil, vingt ans plus tôt.

Je n'ai rien dit, je n'ai pas son indécence, après tout.


samedi 23 février 2008

Elsa (4)


Ou comment le
Bob entra dans sa vie... (Merci à Mal Femmée, pour cette analyse indescriptiblement précieuse - mon correcteur orthographique aurait plu à Lacan, il corrige "indescriptiblement" en "indescriptible ment")



Elsa était en cuisine quand il entra, si bien qu'elle ne se rendit pas tout de suite compte à quel point il était grand - il devait mesurer plus d'1m90. Elle ne s'en aperçut qu'au moment où il partit, elle vit ce long corps, qu'il dépliait à chaque fois comme s'il eut appartenu à quelqu'un d'autre, se dresser devant elle, et levant les yeux, elle sut que c'en était fini du vide de ses pensées : il les habitait déjà.
Bien sûr, elle se trompait, puisque de tout ce qu'il lui apporterait, ce qui lui serait le plus substantiel, ce serait le fossé qui se creuserait entre elle et elle-même, entre chacune de ses pensées, par de minuscules interstices d'abord, par des entailles immenses ensuite...

Après quelques temps passés à ses côtés, il lui prit rapidement des envies de mordre l'air, à même l'invisible, de le déchiqueter avec sa bouche, ses dents, de le mâcher, de lui trouver un goût, aussi informe soit-il.

Il n'y avait cependant pas un seul mot, ni une seule image qui lui offrit la transparence, ce doux rêve un peu idiot, obscurément ironique.

Elle avait fini par se plier à l'image de la dette mondiale, à mesure qu'elle tombait amoureuse, elle était exponentiellement déficitaire.

Il avait commencé par lui écrire quelques mots anodins sur une serviette en papier d'une écriture élégante, un peu féminine ; et cela, sans qu'il se donnât la peine de lui laisser un numéro de téléphone.

Et elle avait guetté son retour, sans se l'avouer, s'efforçant de faire comme si rien n'avait changé, essayant d'ignorer ce mouvement en elle, de ne pas trop admirer cette trace aléatoire qui n'obligeait pas de réponse, sa liberté...

Elle aurait pris rapidement conscience qu'il s'agissait d'une prison plus qu'autre chose, d'un refus désespéré de s'attacher, que sous la beauté du geste, se dissimulait une angoisse de vivre rapace, un instinct mortifère, si elle n'avait pas eu en elle-même le besoin profond d'être niée.

Car, déjà, dès les tous premiers instants, il contestait son existence à elle en ne lui permettant pas de lui répondre, et il continuerait à l'ignorer, comme il récuserait la véhémence de son désir pour lui, l' âpreté farouche avec lequel elle voudrait s'amarrer à son corps. Il ne se dresserait jamais plus à ses yeux, et son sexe qu'elle ne sentirait que de rares fois dans son ventre, avec tout le désespoir écœuré qu'il saurait lui transmettre, ne comblerait jamais les blessures qu'il lui infligerait.


Pourtant, à ce moment-là, Elsa s'ignorait elle-même, refoulant au loin l'orage, elle en captait seulement l'intensité, qui la réveillait, lui faisait éprouver le monde de façon indiciblement plus vive, en lui promettant une existence dont les saillies seraient sûrement plus incisives mais aussi infiniment plus brillantes.



jeudi 21 février 2008

Elsa (3)

Elle travaillait dans un restaurant. Elle y volait de la nourriture qu'elle fourrait dans sa bouche maladroitement, en faisant bien attention à ce que personne ne la remarquât.
Elle aimait l'odeur des oignons frits, des légumes. Elle mettait beaucoup de cœur à ce que cela soit parfait.
Elsa avait fait des études littéraires, avant que cet emploi dit alimentaire (si elle s'était amusé à l'époque de ce jeu de mot, il ne la faisait guère plus sourire, maintenant), devienne son emploi, son rôle à jouer.
Dans ce bui-bui où elle travaillait, il y avait des personnages hauts-en-couleurs, dont elle caressait un jour de faire le portrait dans un roman.
La belle-sœur du gérant que celui-ci avait recueilli après que son frère l'ait abandonné et soit parti vivre en Inde était devenue à moitié folle, elle était grosse, et ses cheveux pendouillaient lamentablement de chaque côté de sa tête, sur laquelle prolifèraient des boutons d'acné malgré ses 34 ans ; elle portait, de plus, sans arrêt un t-shirt toujours sale qu'elle s'était fait faire dans une boutique spéciale, avec la tête d'une égérie des années 80, illustre inconnue à présent, à la choucroute glacée, et au teint de plâtre. Hortense expliquait souvent à Elsa, que si elle portait ce t-shirt, elle savait que lorsque son mari reviendrait, il ne pourrait pas échapper à sa beauté, celle intérieure, dont elle forçait le reflet sur son buste.
Le patron lui-même se donnait des airs de mafieux, bien qu'il n'ait jamais eu de précédent italien dans sa famille, Elsa pensait même qu'il n'avait jamais dû en voir un de sa vie. Mais, dans sa tête, il suffisait d'avoir vu le Parrain pour être submergé par cet univers périlleux, aux confins de l'honneur et du grand-banditisme. En ces années, l'influence même que provoquait ce film sur certains était devenu un cliché, une blague de bon aloi, et tout le monde le trouvait très sympathique, malgré son excentricité.
Quand on lui disait qu'il aurait dû placer Hortense dans un asile pour fous, il répondait invariablement "hé qu'est-ce que tu veux, c'est la familia, je peux pas."

Elsa avait en quelque sorte trouver sa place dans cette confusion, elle pouvait se fondre, et qu'on l'oublie quelque temps, quand plus aucun client ne venait manger. Elle savait bien qu'au fond si le restaurant tournait, c'était grâce à elle, à son travail silencieux et appliqué, et elle pouvait se dissoudre dans le sentiment d'être indispensable, qui lui était si précieux.

Ce jour-là, elle aurait donc payé très cher pour qu'il ne franchisse pas la porte.

dimanche 17 février 2008

Elsa, c'est moi - disait Flaubert

Ce qu'il y a de plus profond dans l'homme c'est la peau.

Paul Valéry

Et tu promènes tes mains sur mon corps en en suivant les lignes fracturées, comme autant de fêlures intimes qui pourraient -peut-être- te révéler les secrets de ce que j'ai été et de ce que je suis (devenue)...

La gravité est quelque chose pour laquelle j'ai été destinée, l'indicible également.
Je ne prétends rien, j'y suis simplement obligée.
Il n'y a pas de courage là-dedans.
Je vais au feu, avec un protocole, un garde-fou, l'écriture et ses règles.
Les conventions veulent que j'écrive : "a puis b, le ciel est orange, l'amour, la mort, le désert, et enfin le mystère"
Ces conventions sont mi-figue, mi-raisin.
Je croyais. J'ai cru. L'universel, le singulier.
On ménage certains concepts quand on est jeune, on s'en émerveille, comme des beaux bijoux, on gratte un peu ensuite, c'est le toc qui guette.
L'obsession et ses faux airs, l'obsession d'être de ces faussaires.
Et puis, on se dit que si l'on prêche le faux, c'est pour obtenir le vrai.
Comme ces images de guerre qui selon leur montage peuvent tout et rien dire.
Condamner un coupable, innocenter une victime. Et vice et versa.

Aux jeux des pléonasmes, il y a toujours un perdant.

L'absurde me sied bien, puisque grâce à lui, j'ai le cul par terre.

Les deux chaises, elles brûlent maintenant dans mon petit auto-dafé personnel.

mercredi 6 février 2008

...

De la belle musique : Goran Bregovic - Andante Amoroso
.

Nous avons écrit en haussant les épaules, comme pour nous débarrasser de quelque chose qui ne nous aurait ni gêné, ni encouragé.

Nous vivons un peu à côté des mots, parfois en riant ; parfois, nous sentons le reflux incertain de leur absence, qui a tout de l'intime.

Nous sommes étranges à nous-mêmes, par une beauté qui ne se dit pas, qui ricoche et qui, en vagues emmêlées, nous transportent là où la confusion ne nous trouble plus.

Mon amour brûlé par le soleil, vivant nu et libre sur les chemins pierreux d'Algérie, mon enfant du désert, tu te dilues dans l'astre brillant, je suis ce rivage que tu aveugles et illumines, si bien que maintenant nous habitons entre l'ombre et la lumière et que, notre maison n'est autre qu'une éclipse...

.

mardi 29 janvier 2008

Elsa (2)





Elsa avait à peine quatorze ans quand c'est arrivé. Elle aurait aimé dire qu'elle ne savait pas, qu'elle était innocente. Mais ce n'était pas le cas, et après tout, elle l'avait même bien cherché.

Elsa n'était pas aimée des autres, ni même appréciée. On se servait d'elle, de sa gentillesse, et elle s'en rendait bien compte.
Elle se disait que le fait de savoir - secrètement - qu'on l'utilisait, faisait d'elle quelqu'un de plus beau, une personne plus rare, puisque prête à un sacrifice douloureux pour des êtres qui ne le méritaient pas.
Elle en avait pourtant assez d'être un objet sans épines, elle voulait s'armer, que les autres y perdent leurs plumes au passage.
Elsa n'était pas un ange, mais elle était orgueilleuse et ainsi infiniment faible.
Elle avait déjà lu Les Liaisons Dangereuses et nombre de romans qui mettaient en scène l'ahurissant pouvoir des femmes dans le jeu de la séduction. Elle avait senti en elle quelque chose s'ouvrir, et s'extasier.
Elle voulait plus que tout être détentrice de ce don.
Elle s'imaginait piéger un homme, le pousser jusqu'à la chute, lui tendre ensuite une main secourable, et une fois qu'il serait debout devant elle, le regarder de tout le dédain enamouré dont elle serait capable.
Elle savait également que ce n'était pas de son âge ni de celui des garçons qui faisaient partie de son entourage.
Elle regardait son corps se transformer lentement, et elle trépignait d'impatience et de rage.
Ses règles apparurent et sa poitrine grossit, presque à vue d'oeil.
Elle regardait souvent ses seins dans la glace, en essayant de percer pour la première fois le mystère de sa féminité.
Etait-ce là dans ces globes frémissants sous sa nouvelle respiration, plus profonde, plus ample, plus assurée qu'elle trouverait le tout premier moyen de se faire remarquer?
Le temps passait et elle s'occupait à faire semblant d'être toujours la même, toujours une enfant docile et effacée.
Elle apprit qu'aux vacances de printemps, une de ses tantes viendrait, accompagné de son cousin, âgé de 18 ans.
Elsa y vit un signe du destin, il était le premier qu'elle chasserait, sa première proie.
Le soir où ils devaient arrivés, elle passa beaucoup plus de temps que d'accoûtumé dans la salle de bain. Il fallait choisir sa tenue avec soin, si elle voulait le posséder au premier regard.
Elle mit une espèce de robe rose qui, suffisamment transparente, laissait entr-apercevoir le bout de ses seins.
Elle se dit "voilà la première de mes promesses, mais qu'il ne soit pas assuré que je la tienne".
Au moment où elle entendit les coups sur la porte d'entrée, elle attendit quelques secondes, puis sortit, et les salua.
Au premier coup d'oeil, elle sut qu'il tomberait dans le traquenard, ses yeux enfoncés, sombres s'étaient illuminés à sa vue. Ce qu'elle ne voulut pas remarquer, c'était le rictus haineux qui avait saisi sa bouche.
Ses parents la rappelèrent alors à l'ordre, il était temps d'aller dormir.
Deux jours plus tard, ils se retrouvèrent sous sa garde, Elsa avait minaudé l'air de rien, et elle savait qu'imminement quelque chose se produirait.
Elle ne s'attendait pas à ça.
Lentement, il approcha son bras de son entre-jambe. Comme elle était quand même curieuse, elle le laissa faire. La vision de son bras couvert de poils noirs resterait à jamais gravé dans son esprit.
Il faisait une chaleur écœurante, et une espèce de torpeur immonde et visqueuse s'abattit sur elle, sans qu'elle ne puisse rien faire.
A son propre jeu, elle venait de perdre. Parce que bêtement, elle n'en connaissait pas toutes les règles.

Elle commença à prendre du poids, et quand son père mourut, un an plus tard, rien ne put plus stopper cette ascension.

Elsa porte ainsi son corps comme la mémoire de sa faute, de son échec mais aussi comme la plus sûre des protections contre les regards qu'elle a tant cherchés.

C'est la bouée qui ne la sauve de personne d'autre si ce n'est d'elle-même.

dimanche 20 janvier 2008

L'Education Sentimentale

Cela fait presque deux mois maintenant que je travaille au sein de cette sacro-sainte institution qu'est l'Education Nationale.

Cet emploi est un mélange de frustration et de plaisir. Je suis une sorte d'agent administratif : j'enregistre les billets d'absence, les fameuses "colles", j'appelle les parents quand leurs enfants sont malades... Ainsi je suis cantonnée à la vie scolaire, là où les surveillants crapahutent dans tous les sens, mais aussi peuvent lier avec les élèves de vraies relations.

Je vois beaucoup de monde passer, ne serait-ce que dans la fulgurance de la récréation, il y a le mélange approximatif des rires, des cris, et parfois des larmes... C'est un monde gorgé d'émotions de tout ordre, sur fond de marmites d'hormones proches d'exploser et c'est également le temps où l'on harponne l'enfance pour la retenir un peu plus auprès de soi.

Les deux premières semaines, j'ai dû évidemment faire face aux souvenirs de mon propre collège qui me revenaient en pleine tête. Peu de choses ont changé dans les jeux de pouvoir qui s'installent entre chacun, selon leurs rôles, surveillants, professeurs, élèves.

A l'époque, j'avais moi-même un rôle bien précis, celui de l'enfant martyrisé, stigmatisé. Comme c'était déjà le cas à l'école primaire, j'ai continué sur ma lancée, mais les autres enfants y mettaient sûrement un peu plus de cruauté et de savoir-faire qu'auparavant.

J'avais pour moi une origine lointaine (Lyon) qui dans une petite ville de campagne, où l'on est facilement chauvin, rend vite les choses très difficiles. Je me souviens d'avoir découvert au même moment que mes grands-parents immatriculés 58 se faisaient klacksonner quand ils venaient chez moi en vacances simplement parce qu'ils n'étaient pas du pays, et que mes parents perçus comme des citadins, des barbares dans le tout petit village que nous habitions, étaient également montrés du doigts par les autochtones... Leur flegme et leur indifférence rendaient sûrement les choses pires aux yeux des villageois, mais ils n'ont ainsi jamais pu brandir les torches de la haine à notre encontre...

Ce que j'avais également pour moi, c'était une passion naissante pour la littérature, qui m'éloignait de tous, affirmait mon indépendance, tout en me rendant vulnérable à quelque expédition punitive (sac retrouvé éventré dans les toilettes, chewing gum dans les cheveux, insultes fréquentes, j'en passe et des meilleures).

Il y eut ensuite la rencontre avec ma meilleure amie, la première personne vampirisante qui a entamé mon existence prenant à son compte mon intelligence, ma sensibilité, mon besoin de donner et de recevoir de l'affection, et aussi de m'identifier à quelqu'un qui soit viable socialement.

Ce fut un succès retentissant puisque de la binoclarde intello, je suis passée à la pute qui aimait les Spice Girls.

Sur la fin de ma troisième, j'ai commencé d'abandonner cette panoplie qui ne me collait pas tellement à la peau, je me suis à nouveau assagie vestimentairement (non pas que je m'habillais de façon véritablement choquante, mais j'avais déjà le corps d'une femme et tendance à piquer les fringues de ma mère, d'où un décalage assez énorme avec les bas de survêtement aux boutons à pression qui faisaient fureur à l'époque), j'ai rompu mon amitié avec cette fille dans un éclair de narcissisme salvateur - je ne supportais plus d'entendre douze fois dans la même journée la même histoire idiote où elle lustrait ses lauriers, sa façon de parler exclusivement d'elle, et d'apprécier incroyablement mes conseils alors qu'elle ne me laissait jamais finir mes phrases.

J'ai demandé à faire un lycée dans une autre ville à 50 kilomètres de là, en internat, la raison officielle était la qualité de l'enseignement dispensé (il prenait sur dossier et le mien, ma foi, n'était pas si mauvais), la raison officieuse, vous la devinez...

Quand j'ai commencé à travailler au sein de la vie scolaire, c'est donc cette partie de mon histoire personnelle qui est revenue à la surface mais également des impressions plus floues, des sensations... Celles-ci se superposent avec une étonnante justesse aujourd'hui aux constats que je peux faire, avec ce regard acéré que je me suis sculptée depuis.

J'ai évidemment une tendresse particulière pour ceux qui échouent, qui ne trouvent d'autres façons de s'exprimer qu'une certaine violence, qu'un irrespect chronique. Il va sans dire que la situation a changé, que mes bourreaux d'hier, je peux aujourd'hui les punir par ce statut d'adulte et de responsable qui est le mien. Pourtant, je me souviens, confusément, que cette tendresse a toujours été là, que cette volonté de comprendre et d'aider aussi, que si les élèves d'hier me blessaient avaient des raisons de le faire, qu'elles ne m'étaient pas complètement liées mais qu'elles étaient tout de même réelles, et suffisamment asphyxiantes pour qu'ils en arrivent à ce type de comportements, ces élèves d'aujourd'hui souffrent les mêmes frustrations, les mêmes peurs.

Je me souviens d'un épisode particulièrement symbolique qui illustre ce que je ressens.

Plus jeune donc, passionnée par les livres, je me collais dans un endroit, parmi le brouhaha sans intermittence de la vie, complètement immergée, je n'entendais rien de ce qu'il se passait autour de moi - mes parents m'ont souvent fait remarquée que la maison aurait bien pu brûler autour de moi lorsque je lisais, je ne moufterais pas - un garçon, et pas forcément de ceux qui me tourmentaient régulièrement, m'arracha le livre des mains sans même le regarder, s'ensuivit une palabre désespérée où j'essayais de le récupérer et où bien plus grand que moi, il le tenait hors de ma portée, je sautillais donc et me ridiculisais un peu plus.
Ce geste, et je ne l'ai compris que bien plus tard, tant la honte cachait tout, était une invitation - certes maladroite, mais une invitation tout de même - à regarder un peu plus autour de moi, à entrer dans le jeu de la vie, à ne plus m'écarter comme je le faisais.

Ces élèves qui parlent mal, qui défient l'autorité souffrent - je le crois, sincèrement - des mêmes maux que moi, là où je les exprimais par une certaine passivité, et où la lutte restait et reste souvent encore aujourd'hui interne, ils trouvent et prouvent leurs existences dans un conflit tangible avec des figures à leurs yeux forcément, voire nécessairement, brimantes...

Voilà ce que me demandait le jeune garçon qui m'arrachait à moi-même : Regarde-moi, je ne suis pas si différent de toi.

Et c'est également ce que j'ai envie de dire à ces jeunes personnes que je vois chaque jour...

Alors, oui, ce travail est frustrant parce qu'il ne me permet pas d'avoir la qualité de relations qu'il faudrait pour pouvoir leur dire cette phrase, l'intimité n'est pas assez présente pour un acte de cette sorte, mais c'est un plaisir, parce qu'il m'apprend à les approcher, à leur parler l'air de rien, et à faire pour la première fois de ma vie une activité salariée qui malgré ses limites me donne les promesses d' un épanouissement authentique.

mercredi 16 janvier 2008

"Normaux"

En deux mots, l'histoire :

Un couple, lui, on le verrait bien vendeur en hi-fi et elle, secrétaire médicale, se trouve exposé à la folie.
Le délire va gagner l'homme via la lecture d'un livre, objet sacré et fascinant s'il en est (dont l'effet se trouve intensifié au vu de la culture et du niveau intellectuel qu'on leur imagine) nommé Progressivité de l'amoralité.
Tandis qu'il semble croire à une simple crise existentielle - il s'éprend d'une idée de domination masculine qui lui permet de reprendre le flambeau d'une virilité, soit-disant viciée auparavant par la société et les femmes, en usant d'une violence tant psychologique que physique - elle, reste passive, son monde s'écroulant au fur et à mesure que la raison de son mari chute et qu'il lui en fait subir les effets.

Ce moyen-métrage (d'environ 40 minutes) qui se déroule en huis-clos - avec une seule échappée, fantasmatique - a été réalisé avec très peu de moyens mais beaucoup de talent par Thomas Lafon en 2005/2006.

Vous pouvez en voir la bande-annonce ici.

Et si vous voulez en savoir plus, vous pouvez adresser un courrier à cette adresse : klacksonteam@hotmail.fr

Evidemment, tout ceci n'est pas innocent, puisque j'ai co-écrit le scénario et ma foi, joué dans le film.

Et un jour, si vous êtes sages, je vous raconterai ce qu'a été cette deuxième expérience de tournage.

mardi 15 janvier 2008

Elsa (1)


La laideur des murs n'attirait plus son attention. Allongée sur son lit, Elsa cherchait à percer un mystère qui la laisserait souveraine, femme parmi les femmes. Elle observait sans sourciller les échappées de son ventre, montant et descendant sous le coup de la respiration, sans qu'aucune irrégularité n'y soit perceptible. C'était peut-être ça le plus dérangeant, l'absence d'accrocs alors que tout en elle veillait au déchirement. Elle regardait les lézardes qui sévissaient sur sa peau, certaines récentes, encore sanguines, d'autres atténuées depuis longtemps, des traces luminescentes des outrages qu'elle avait fait subir à son corps, comme autant de mises à mort banales et quotidiennes. Elle en était fière maintenant, fière de cette mémoire si fraîche en ses jeunes années, si candide mais déjà tellement présente, finement gravée. Il y avait aussi l'ombre de la honte quand parfois seule, elle hésitait à se déshabiller devant une glace. Accompagnée d'un amant, elle se dévoilait comme on se débarrasse d'une mauvaise pensée, refusant de se laisser arrêter par une fausse pudeur.


Elsa s'ingéniait à paraître plus âgée qu'elle ne l'était. Comment mieux dire que par le corps la douleur et la fatigue d'exister? L'exigüité de ce désir, qu'elle transportait bonnant malant comme on soupire sur sa croix en la redressant, lui permettait de garder une dignité face à bien des visages hostiles, voire effrayés. Dans le fond, là où s'efface le sens de nos actes, elle souhaitait simplement la mort mais parmi les vivants, elle serait ainsi élevée à son tour, comme si perdant le privilège de la vie, elle trouverait enfin ce qu'elle cherchait, la grâce, selon elle, étant la plus juste réponse que l'on puisse offrir à la disgrâce.


Voilà que les premiers rayons du soleil tâchaient ça et là en éclats lumineux son mobilier usé. Elle éteignit sa lampe de chevet, il était temps de se lever, de préparer du café, de se plonger dans une nouvelle journée qui serait semblable aux autres et infimement différente, la ronde de ses pensées, elle le savait, interrompue sans cesse par le souvenir glacé et désespéré de son père, et de l'anniversaire de sa mort.


Déjà cinq ans, avait-elle pensé en franchissant la porte, en insérant la clé dans la serrure, en la tournant deux fois, déjà cinq ans, articulait-elle silencieusement en syllabes bien distinctes. Un vide immense, depuis. Son père, seule figure véritablement aimante de son entourage, ses yeux rieurs, la douceur et la fermeté de ses bras quand il la soulevait petite et même moins petite. Elle se dit avec une sorte d'écœurement apitoyé pour elle-même qu'il aurait bien du mal à la porter maintenant. Mais c'était avec lui qu' elle aurait dû apprendre à se fortifier et à s' adoucir face aux épreuves, face aux gens, c'était auprès de lui qu'elle aurait pu trouver l'écho de sa propre existence. Et voilà que celle-ci s'était dispersée au même moment que ses cendres. Et que plus rien ne semblait tangible. Elle aurait à supporter ce soir les sanglots de sa mère au téléphone, rien d'extraordinaire cela dit, la complainte du jour gagnerait simplement un peu plus en intensité, et ce chapelet de mots rabâché mille fois ferait mourir cette journée dans une belle irréalité douceâtre, insupportable.


mercredi 2 janvier 2008

Vive deux mille ouite *

Entre deux suées, je vous le dis les enfants, 2008 sera une belle année. Le rhume m'a emportée pour me déposer au fin fond d'une histoire heureuse, des rêves à pied (on s'essouffle) en verres à pied, Bacchus ne m'a pas rendue grâce, mais Venise était belle et la clameur de l'Amour nous rappelait à nous-mêmes.

Alors, ça, c'était facile, tout le monde peut se prendre pour mon inconscient collectif, je te le fais pas dire.

Ensuite, ce fut plus flou. A peine rentrés que le champagne coulait à flot, en demeure campagnarde s'il en est, d'un feu ronflant nous jouions, tant dans nos veines que sur nos joues extasiées (tu le sens là, hein, le lyrisme qui sied aux pérégrinations champêtres? Celui de la gueule de bois de Marie le lendemain l'était tout autant, je peux te l'assurer, lecteur) ...

Le fameux Réveillon, lui, fut plus flou encore, quand la grippe (la vilaine) m'écrasa de toute sa stupeur.

Le temps de manger le foie gras et je dormais.
22h pétantes.

Depuis je traîne ma carcasse à la recherche d'une quelconque inspiration, mais mon esprit est aussi vif qu'une huître malade.

Tout ça pour vous souhaiter la bonne année, et tout ce que vous voulez encore, un chameau, Desproges vivant, une brosse à dents, la paix sur terre, un chat qui perd pas ses poils, des lieux publics fumeurs, une coupe avec mulette, et de l'amour, bien sûr.


*private joke