samedi 23 février 2008

Elsa (4)


Ou comment le
Bob entra dans sa vie... (Merci à Mal Femmée, pour cette analyse indescriptiblement précieuse - mon correcteur orthographique aurait plu à Lacan, il corrige "indescriptiblement" en "indescriptible ment")



Elsa était en cuisine quand il entra, si bien qu'elle ne se rendit pas tout de suite compte à quel point il était grand - il devait mesurer plus d'1m90. Elle ne s'en aperçut qu'au moment où il partit, elle vit ce long corps, qu'il dépliait à chaque fois comme s'il eut appartenu à quelqu'un d'autre, se dresser devant elle, et levant les yeux, elle sut que c'en était fini du vide de ses pensées : il les habitait déjà.
Bien sûr, elle se trompait, puisque de tout ce qu'il lui apporterait, ce qui lui serait le plus substantiel, ce serait le fossé qui se creuserait entre elle et elle-même, entre chacune de ses pensées, par de minuscules interstices d'abord, par des entailles immenses ensuite...

Après quelques temps passés à ses côtés, il lui prit rapidement des envies de mordre l'air, à même l'invisible, de le déchiqueter avec sa bouche, ses dents, de le mâcher, de lui trouver un goût, aussi informe soit-il.

Il n'y avait cependant pas un seul mot, ni une seule image qui lui offrit la transparence, ce doux rêve un peu idiot, obscurément ironique.

Elle avait fini par se plier à l'image de la dette mondiale, à mesure qu'elle tombait amoureuse, elle était exponentiellement déficitaire.

Il avait commencé par lui écrire quelques mots anodins sur une serviette en papier d'une écriture élégante, un peu féminine ; et cela, sans qu'il se donnât la peine de lui laisser un numéro de téléphone.

Et elle avait guetté son retour, sans se l'avouer, s'efforçant de faire comme si rien n'avait changé, essayant d'ignorer ce mouvement en elle, de ne pas trop admirer cette trace aléatoire qui n'obligeait pas de réponse, sa liberté...

Elle aurait pris rapidement conscience qu'il s'agissait d'une prison plus qu'autre chose, d'un refus désespéré de s'attacher, que sous la beauté du geste, se dissimulait une angoisse de vivre rapace, un instinct mortifère, si elle n'avait pas eu en elle-même le besoin profond d'être niée.

Car, déjà, dès les tous premiers instants, il contestait son existence à elle en ne lui permettant pas de lui répondre, et il continuerait à l'ignorer, comme il récuserait la véhémence de son désir pour lui, l' âpreté farouche avec lequel elle voudrait s'amarrer à son corps. Il ne se dresserait jamais plus à ses yeux, et son sexe qu'elle ne sentirait que de rares fois dans son ventre, avec tout le désespoir écœuré qu'il saurait lui transmettre, ne comblerait jamais les blessures qu'il lui infligerait.


Pourtant, à ce moment-là, Elsa s'ignorait elle-même, refoulant au loin l'orage, elle en captait seulement l'intensité, qui la réveillait, lui faisait éprouver le monde de façon indiciblement plus vive, en lui promettant une existence dont les saillies seraient sûrement plus incisives mais aussi infiniment plus brillantes.



jeudi 21 février 2008

Elsa (3)

Elle travaillait dans un restaurant. Elle y volait de la nourriture qu'elle fourrait dans sa bouche maladroitement, en faisant bien attention à ce que personne ne la remarquât.
Elle aimait l'odeur des oignons frits, des légumes. Elle mettait beaucoup de cœur à ce que cela soit parfait.
Elsa avait fait des études littéraires, avant que cet emploi dit alimentaire (si elle s'était amusé à l'époque de ce jeu de mot, il ne la faisait guère plus sourire, maintenant), devienne son emploi, son rôle à jouer.
Dans ce bui-bui où elle travaillait, il y avait des personnages hauts-en-couleurs, dont elle caressait un jour de faire le portrait dans un roman.
La belle-sœur du gérant que celui-ci avait recueilli après que son frère l'ait abandonné et soit parti vivre en Inde était devenue à moitié folle, elle était grosse, et ses cheveux pendouillaient lamentablement de chaque côté de sa tête, sur laquelle prolifèraient des boutons d'acné malgré ses 34 ans ; elle portait, de plus, sans arrêt un t-shirt toujours sale qu'elle s'était fait faire dans une boutique spéciale, avec la tête d'une égérie des années 80, illustre inconnue à présent, à la choucroute glacée, et au teint de plâtre. Hortense expliquait souvent à Elsa, que si elle portait ce t-shirt, elle savait que lorsque son mari reviendrait, il ne pourrait pas échapper à sa beauté, celle intérieure, dont elle forçait le reflet sur son buste.
Le patron lui-même se donnait des airs de mafieux, bien qu'il n'ait jamais eu de précédent italien dans sa famille, Elsa pensait même qu'il n'avait jamais dû en voir un de sa vie. Mais, dans sa tête, il suffisait d'avoir vu le Parrain pour être submergé par cet univers périlleux, aux confins de l'honneur et du grand-banditisme. En ces années, l'influence même que provoquait ce film sur certains était devenu un cliché, une blague de bon aloi, et tout le monde le trouvait très sympathique, malgré son excentricité.
Quand on lui disait qu'il aurait dû placer Hortense dans un asile pour fous, il répondait invariablement "hé qu'est-ce que tu veux, c'est la familia, je peux pas."

Elsa avait en quelque sorte trouver sa place dans cette confusion, elle pouvait se fondre, et qu'on l'oublie quelque temps, quand plus aucun client ne venait manger. Elle savait bien qu'au fond si le restaurant tournait, c'était grâce à elle, à son travail silencieux et appliqué, et elle pouvait se dissoudre dans le sentiment d'être indispensable, qui lui était si précieux.

Ce jour-là, elle aurait donc payé très cher pour qu'il ne franchisse pas la porte.

dimanche 17 février 2008

Elsa, c'est moi - disait Flaubert

Ce qu'il y a de plus profond dans l'homme c'est la peau.

Paul Valéry

Et tu promènes tes mains sur mon corps en en suivant les lignes fracturées, comme autant de fêlures intimes qui pourraient -peut-être- te révéler les secrets de ce que j'ai été et de ce que je suis (devenue)...

La gravité est quelque chose pour laquelle j'ai été destinée, l'indicible également.
Je ne prétends rien, j'y suis simplement obligée.
Il n'y a pas de courage là-dedans.
Je vais au feu, avec un protocole, un garde-fou, l'écriture et ses règles.
Les conventions veulent que j'écrive : "a puis b, le ciel est orange, l'amour, la mort, le désert, et enfin le mystère"
Ces conventions sont mi-figue, mi-raisin.
Je croyais. J'ai cru. L'universel, le singulier.
On ménage certains concepts quand on est jeune, on s'en émerveille, comme des beaux bijoux, on gratte un peu ensuite, c'est le toc qui guette.
L'obsession et ses faux airs, l'obsession d'être de ces faussaires.
Et puis, on se dit que si l'on prêche le faux, c'est pour obtenir le vrai.
Comme ces images de guerre qui selon leur montage peuvent tout et rien dire.
Condamner un coupable, innocenter une victime. Et vice et versa.

Aux jeux des pléonasmes, il y a toujours un perdant.

L'absurde me sied bien, puisque grâce à lui, j'ai le cul par terre.

Les deux chaises, elles brûlent maintenant dans mon petit auto-dafé personnel.

mercredi 6 février 2008

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De la belle musique : Goran Bregovic - Andante Amoroso
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Nous avons écrit en haussant les épaules, comme pour nous débarrasser de quelque chose qui ne nous aurait ni gêné, ni encouragé.

Nous vivons un peu à côté des mots, parfois en riant ; parfois, nous sentons le reflux incertain de leur absence, qui a tout de l'intime.

Nous sommes étranges à nous-mêmes, par une beauté qui ne se dit pas, qui ricoche et qui, en vagues emmêlées, nous transportent là où la confusion ne nous trouble plus.

Mon amour brûlé par le soleil, vivant nu et libre sur les chemins pierreux d'Algérie, mon enfant du désert, tu te dilues dans l'astre brillant, je suis ce rivage que tu aveugles et illumines, si bien que maintenant nous habitons entre l'ombre et la lumière et que, notre maison n'est autre qu'une éclipse...

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