jeudi 21 février 2008

Elsa (3)

Elle travaillait dans un restaurant. Elle y volait de la nourriture qu'elle fourrait dans sa bouche maladroitement, en faisant bien attention à ce que personne ne la remarquât.
Elle aimait l'odeur des oignons frits, des légumes. Elle mettait beaucoup de cœur à ce que cela soit parfait.
Elsa avait fait des études littéraires, avant que cet emploi dit alimentaire (si elle s'était amusé à l'époque de ce jeu de mot, il ne la faisait guère plus sourire, maintenant), devienne son emploi, son rôle à jouer.
Dans ce bui-bui où elle travaillait, il y avait des personnages hauts-en-couleurs, dont elle caressait un jour de faire le portrait dans un roman.
La belle-sœur du gérant que celui-ci avait recueilli après que son frère l'ait abandonné et soit parti vivre en Inde était devenue à moitié folle, elle était grosse, et ses cheveux pendouillaient lamentablement de chaque côté de sa tête, sur laquelle prolifèraient des boutons d'acné malgré ses 34 ans ; elle portait, de plus, sans arrêt un t-shirt toujours sale qu'elle s'était fait faire dans une boutique spéciale, avec la tête d'une égérie des années 80, illustre inconnue à présent, à la choucroute glacée, et au teint de plâtre. Hortense expliquait souvent à Elsa, que si elle portait ce t-shirt, elle savait que lorsque son mari reviendrait, il ne pourrait pas échapper à sa beauté, celle intérieure, dont elle forçait le reflet sur son buste.
Le patron lui-même se donnait des airs de mafieux, bien qu'il n'ait jamais eu de précédent italien dans sa famille, Elsa pensait même qu'il n'avait jamais dû en voir un de sa vie. Mais, dans sa tête, il suffisait d'avoir vu le Parrain pour être submergé par cet univers périlleux, aux confins de l'honneur et du grand-banditisme. En ces années, l'influence même que provoquait ce film sur certains était devenu un cliché, une blague de bon aloi, et tout le monde le trouvait très sympathique, malgré son excentricité.
Quand on lui disait qu'il aurait dû placer Hortense dans un asile pour fous, il répondait invariablement "hé qu'est-ce que tu veux, c'est la familia, je peux pas."

Elsa avait en quelque sorte trouver sa place dans cette confusion, elle pouvait se fondre, et qu'on l'oublie quelque temps, quand plus aucun client ne venait manger. Elle savait bien qu'au fond si le restaurant tournait, c'était grâce à elle, à son travail silencieux et appliqué, et elle pouvait se dissoudre dans le sentiment d'être indispensable, qui lui était si précieux.

Ce jour-là, elle aurait donc payé très cher pour qu'il ne franchisse pas la porte.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

la suite la suite!

émi a dit…

M TR > ça viendra, ça viendra, aie confiance.