jeudi 6 mars 2008

Elsa (5)

Elle est assise au fond de la salle, enfonçant son opulence avec béatitude dans le fauteuil de velours rouge.

La maladie n'est pas loin, à lui mettre l'esprit coupé en quatre, mais en une espèce de miracle, elle a retrouvé quelque peu de sa conscience, de sa liesse.

Elle doit soutenir celui qu'elle aime, le voir dans la lumière avant qu'elle n'entre dans l'ombre - elle se dit ce genre de choses, oui, avec un peu d'ironie et de la tendresse, plus pour elle-même que pour lui.

Elle sait qu'elle s'est mal comportée, qu'elle l'a convoqué à sa colère, à cette rage qu'elle se trimballe partout, qui masque moins sa peur qu'elle ne le pense. Elle a dit des mots plein de hargne, des phrases irréversibles : Des tas d'accusations proférées à tort qui ne l'ont pas le moins du monde soulagées.

Elle sourit parce que ce serait tellement surprenant qu'elle ait raison qu'elle ne comprend plus ce que sa tête s'efforce de nuancer avec ses à tort, comme si elle repassait au stylo rouge accusateur certains méandres de sa pensée.

Dans la pénombre, elle perçoit à travers ses yeux fermés la différente luminosité des images qui défilent, elle sent la peur rôder, même si les médicaments l'émiettent considérablement.

Pour qu'elle retrouve son unité, pour qu'elle l'affronte, il faudrait qu'elle parte à sa recherche comme le Petit Poucet l'aurait fait.

Elle pousse un soupir, elle est bien trop fatiguée.

Et puis, elle devine sa présence dans l'ombre, elle sait qu'il est tendu vers son discours, vers les yeux des spectateurs. Il parlera comme il sait si bien le faire. Et à cette idée, elle se sent envahie par un immense sentiment de repentir et de désarroi...

Pourrait-il l'aimer encore? L'a-t-elle trop abîmé?

Son cœur bat plus vite et elle suffoque presque, lorsqu'un main secourable vient attraper la sienne.

Elle qui se croyait seule! Mais non... Elsa est assise à côté d'elle. Ah! La pauvre gosse...

On dirait qu'il y a quelque chose de brisé chez elle : elle semble abriter une pièce qui renferme un trésor fabuleux, mais dont la poignée serait cassée. On pourrait regarder pour le trou de la serrure pour s'en faire une idée... Mais même Elsa n'ose pas.

Hortense pourrait lui dire ce genre de choses mais elle a perdu la manière, avant de les avoir perdues toutes.

La lumière se rallume... Et les applaudissements grossissent tandis que Simon entre sur scène.
Elle n'en croit pas ses oreilles quand au bout de quelques minutes, elle l'entend prononcer son prénom, Hortense comme étiré dans un sourire, une reconquête, une grâce.

Elsa l'aide à se lever et l'accompagne jusqu'à la petite estrade.

Et devant cette centaine de personnes, Simon se prend à l'écraser de mots de dépit, et de haine.

Elle se laisse tomber sur la scène, estomaquée, elle ferme les yeux, et couvre ses oreilles de ses deux mains bien qu'elle ne comprenne déjà plus un traître mot de ce qu'il dit.

Il ne lui laisse plus aucun répit et continue à lui assener sa terrible justice sans qu'elle ne puisse se défendre. Seule Elsa à ses côtés la soutient, tandis que le public peut la voir, rouge de pleurs, bavant et gémissant une souffrance qu'elle ne peut pas endiguer.

Puis tout s'efface sans qu'elle sache comment, les bruits et la lumière s'éloignant doucement jusqu'à se taire.

***

Elsa était en train de préparer la salade quand Hortense vint la voir et lui dit : "hier j'ai rêvé de toi, et il y avait mon mari aussi, qu'il était beau!"
Elsa sourit et l'embrassa.

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