mardi 15 janvier 2008

Elsa (1)


La laideur des murs n'attirait plus son attention. Allongée sur son lit, Elsa cherchait à percer un mystère qui la laisserait souveraine, femme parmi les femmes. Elle observait sans sourciller les échappées de son ventre, montant et descendant sous le coup de la respiration, sans qu'aucune irrégularité n'y soit perceptible. C'était peut-être ça le plus dérangeant, l'absence d'accrocs alors que tout en elle veillait au déchirement. Elle regardait les lézardes qui sévissaient sur sa peau, certaines récentes, encore sanguines, d'autres atténuées depuis longtemps, des traces luminescentes des outrages qu'elle avait fait subir à son corps, comme autant de mises à mort banales et quotidiennes. Elle en était fière maintenant, fière de cette mémoire si fraîche en ses jeunes années, si candide mais déjà tellement présente, finement gravée. Il y avait aussi l'ombre de la honte quand parfois seule, elle hésitait à se déshabiller devant une glace. Accompagnée d'un amant, elle se dévoilait comme on se débarrasse d'une mauvaise pensée, refusant de se laisser arrêter par une fausse pudeur.


Elsa s'ingéniait à paraître plus âgée qu'elle ne l'était. Comment mieux dire que par le corps la douleur et la fatigue d'exister? L'exigüité de ce désir, qu'elle transportait bonnant malant comme on soupire sur sa croix en la redressant, lui permettait de garder une dignité face à bien des visages hostiles, voire effrayés. Dans le fond, là où s'efface le sens de nos actes, elle souhaitait simplement la mort mais parmi les vivants, elle serait ainsi élevée à son tour, comme si perdant le privilège de la vie, elle trouverait enfin ce qu'elle cherchait, la grâce, selon elle, étant la plus juste réponse que l'on puisse offrir à la disgrâce.


Voilà que les premiers rayons du soleil tâchaient ça et là en éclats lumineux son mobilier usé. Elle éteignit sa lampe de chevet, il était temps de se lever, de préparer du café, de se plonger dans une nouvelle journée qui serait semblable aux autres et infimement différente, la ronde de ses pensées, elle le savait, interrompue sans cesse par le souvenir glacé et désespéré de son père, et de l'anniversaire de sa mort.


Déjà cinq ans, avait-elle pensé en franchissant la porte, en insérant la clé dans la serrure, en la tournant deux fois, déjà cinq ans, articulait-elle silencieusement en syllabes bien distinctes. Un vide immense, depuis. Son père, seule figure véritablement aimante de son entourage, ses yeux rieurs, la douceur et la fermeté de ses bras quand il la soulevait petite et même moins petite. Elle se dit avec une sorte d'écœurement apitoyé pour elle-même qu'il aurait bien du mal à la porter maintenant. Mais c'était avec lui qu' elle aurait dû apprendre à se fortifier et à s' adoucir face aux épreuves, face aux gens, c'était auprès de lui qu'elle aurait pu trouver l'écho de sa propre existence. Et voilà que celle-ci s'était dispersée au même moment que ses cendres. Et que plus rien ne semblait tangible. Elle aurait à supporter ce soir les sanglots de sa mère au téléphone, rien d'extraordinaire cela dit, la complainte du jour gagnerait simplement un peu plus en intensité, et ce chapelet de mots rabâché mille fois ferait mourir cette journée dans une belle irréalité douceâtre, insupportable.


1 commentaire:

Kinishao a dit…

Ben dis donc ... je suis soufflé.
Il avait raison le monsieur qui t'avait dit que tu y mettrais le temps, mais que tu y arriverais sans aucun doute ...