mardi 29 janvier 2008

Elsa (2)





Elsa avait à peine quatorze ans quand c'est arrivé. Elle aurait aimé dire qu'elle ne savait pas, qu'elle était innocente. Mais ce n'était pas le cas, et après tout, elle l'avait même bien cherché.

Elsa n'était pas aimée des autres, ni même appréciée. On se servait d'elle, de sa gentillesse, et elle s'en rendait bien compte.
Elle se disait que le fait de savoir - secrètement - qu'on l'utilisait, faisait d'elle quelqu'un de plus beau, une personne plus rare, puisque prête à un sacrifice douloureux pour des êtres qui ne le méritaient pas.
Elle en avait pourtant assez d'être un objet sans épines, elle voulait s'armer, que les autres y perdent leurs plumes au passage.
Elsa n'était pas un ange, mais elle était orgueilleuse et ainsi infiniment faible.
Elle avait déjà lu Les Liaisons Dangereuses et nombre de romans qui mettaient en scène l'ahurissant pouvoir des femmes dans le jeu de la séduction. Elle avait senti en elle quelque chose s'ouvrir, et s'extasier.
Elle voulait plus que tout être détentrice de ce don.
Elle s'imaginait piéger un homme, le pousser jusqu'à la chute, lui tendre ensuite une main secourable, et une fois qu'il serait debout devant elle, le regarder de tout le dédain enamouré dont elle serait capable.
Elle savait également que ce n'était pas de son âge ni de celui des garçons qui faisaient partie de son entourage.
Elle regardait son corps se transformer lentement, et elle trépignait d'impatience et de rage.
Ses règles apparurent et sa poitrine grossit, presque à vue d'oeil.
Elle regardait souvent ses seins dans la glace, en essayant de percer pour la première fois le mystère de sa féminité.
Etait-ce là dans ces globes frémissants sous sa nouvelle respiration, plus profonde, plus ample, plus assurée qu'elle trouverait le tout premier moyen de se faire remarquer?
Le temps passait et elle s'occupait à faire semblant d'être toujours la même, toujours une enfant docile et effacée.
Elle apprit qu'aux vacances de printemps, une de ses tantes viendrait, accompagné de son cousin, âgé de 18 ans.
Elsa y vit un signe du destin, il était le premier qu'elle chasserait, sa première proie.
Le soir où ils devaient arrivés, elle passa beaucoup plus de temps que d'accoûtumé dans la salle de bain. Il fallait choisir sa tenue avec soin, si elle voulait le posséder au premier regard.
Elle mit une espèce de robe rose qui, suffisamment transparente, laissait entr-apercevoir le bout de ses seins.
Elle se dit "voilà la première de mes promesses, mais qu'il ne soit pas assuré que je la tienne".
Au moment où elle entendit les coups sur la porte d'entrée, elle attendit quelques secondes, puis sortit, et les salua.
Au premier coup d'oeil, elle sut qu'il tomberait dans le traquenard, ses yeux enfoncés, sombres s'étaient illuminés à sa vue. Ce qu'elle ne voulut pas remarquer, c'était le rictus haineux qui avait saisi sa bouche.
Ses parents la rappelèrent alors à l'ordre, il était temps d'aller dormir.
Deux jours plus tard, ils se retrouvèrent sous sa garde, Elsa avait minaudé l'air de rien, et elle savait qu'imminement quelque chose se produirait.
Elle ne s'attendait pas à ça.
Lentement, il approcha son bras de son entre-jambe. Comme elle était quand même curieuse, elle le laissa faire. La vision de son bras couvert de poils noirs resterait à jamais gravé dans son esprit.
Il faisait une chaleur écœurante, et une espèce de torpeur immonde et visqueuse s'abattit sur elle, sans qu'elle ne puisse rien faire.
A son propre jeu, elle venait de perdre. Parce que bêtement, elle n'en connaissait pas toutes les règles.

Elle commença à prendre du poids, et quand son père mourut, un an plus tard, rien ne put plus stopper cette ascension.

Elsa porte ainsi son corps comme la mémoire de sa faute, de son échec mais aussi comme la plus sûre des protections contre les regards qu'elle a tant cherchés.

C'est la bouée qui ne la sauve de personne d'autre si ce n'est d'elle-même.

14 commentaires:

Anonyme a dit…

Ben bravo!

Anonyme a dit…

Se cacher sous les kgs. Ceux qui serviront de matière à une haine plus tenace, rompant toute relation diplomatique entre corps et esprit.
Se cacher sous le tissus.
Se cacher sous les mots...A un moment donné, il faut cesser cette partie sinon plus personne ne nous retrouve, tu sais.

émi a dit…

Toujours Raison > Ben merci !

Lily > Maintenant... Je sais que je veux être (re)trouvée...

Je te bisoute.

Anonyme a dit…

Elle l'avait bien cherché? Je ne suis pas d'accord, car elle n'a pas trouvé ce qu'elle cherchait mais a trouvé ce qu'elle ne cherchait pas...

Anonyme a dit…

"Classic stuff!"

ça y est, pour moi, tu y es arrivée!

émi a dit…

Ardalia > T'imagines même pas l'effet de ta réponse... Encore un mot (le même) : merci! (j'ai pensé l'écrire en anglais pour être au moins hyper novatrice dans la langue utilisée, et puis en fait, non)

Thomas > ;) j'en suis pas loin en tout cas, c'est sûr

Des b'sous à tous les deux, les z'amis!

Anonyme a dit…

ecoute je l'ai lu trois fois, je sais toujours pas quoi dire, mais je voulais vraiment te dire que j'ai trouvé ça terrible
(oui , parfois comme ça, je suis originale)

émi a dit…

abs > (je vais essayer d'être au moins aussi originale...) merci!

pititisa a dit…

Un long pull en plein été dix fois trop grand, des lunettes aux montures énormes, une tresse continuelle, et un magnfique appareil dentaire pourraient remplacer la masse corporelle:)...
Très joli ce texte miss, et puis même plus, bref, bravissimo bellissima.:)

émi a dit…

Isa > Tu as bien raison... On peut essayer de se cacher de mille façons...

Merci sinon ;)

Kinishao a dit…

Très très bien ce texte, même si je m'attendais à une fin plus trash ...

Zoridae a dit…

Pff ce texte m'a laissée KO ! C'est dur...

émi a dit…

Kini > Eh attends, c'est pas fini !

Zoridae > Sans aucun doute...
(Bienvenue à toi, itou ;))

Anonyme a dit…

Très forts.
(Le récit, l'écriture et le choix d'Iggy Pop burning en toile de fond)