vendredi 19 octobre 2007

The Story Of My Life (2)

12.04.2007


Hier, j'ai rejoint Amandine chez elle. Une pulsion, l'envie de sortir, de ne plus tourner en rond comme une lionne en cage, envie de humer l'air, de dompter la nuit.


J'ai fourré une bouteille de rhum et du jus d'orange dans un sac plastique et je suis sortie. L'air était doux, il avait plu et l'asphalte brillait. Je me suis engouffrée dans le métro, j'ai attendu la rame en me dandinant sur la musique que j'étais la seule à pouvoir entendre, qui s'échappait de mes écouteurs et irriguait tout mon être d'une émotion bien pratique, préfabriquée. Mon corps et mon esprit ne faisait que répondre à son écho, je n'avais plus à décider.


C'est ce que j'ai recherché encore, une fois arrivée chez elle, en lui donnant l'occasion de me parler, je voulais me remplir d'elle, me remplir de sa vie à elle, et m'oublier un peu. On s'est servi quelques verres et aucun n'est vraiment passé, j'étais obligée de faire un effort surhumain pour ne pas grimacer à chaque fois que j'en prenais une gorgée. Vers minuit et demi, je suis partie. Essouflée dès les premiers pas, la fraîcheur de la nuit, son odeur particulière, les lumières jaunes des réverbères ont immédiatement habité mon esprit. Abandonnée à cette ambiance si particulière, je me suis plusieurs fois arrêtée sur le Pont St Pierre pour scruter la Garonne et emprisonner ses remous dans ma tête. Ma traversée arrivant à terme, le décor autour de moi s'est peu à peu illuminé, Bjork hurlait dans mes oreilles if travel is searching and home has been found I'm not stopping, je me rapprochais de mon but et les battements de mon coeur revenaient doucement à la normale I'm going hunting I'm the hunter, une fraction de seconde, le monde m'appartenait et j'étais là pour le conquérir. J'ai souri à cette pensée fugitive, rangé mon lecteur et poussé la porte du bar.


J'ai frayé mon chemin parmi toutes ces personnes déjà passablement ivres. Comme toujours, dans ce genre de rassemblements, je décelais une connivence secrète, une complicité entre tous que j'étais peut-être ou peut-être pas la seule à voir. Je me suis approchée de lui, il portait sa casquette, ses yeux brillaient, il a dû se plier en deux pour m'embrasser, il m'a sourie et à l'expression de son visage, j'ai tout de suite senti qu'il était attaqué lui aussi. Je lui ai souri et j'ai dit : j'ai soif. Il m'a tendue sa bière. Le spectacle pouvait continuer. Je ne retiendrai pas grand chose de cette soirée : la fille au dos nu, son regard avide récusé par l'ingénuité de ses traits ; les yeux en amande, leurs cils incroyablement longs d'un garçon timide ; l'enthousiasme de celui qui est venu me demander mon prénom c'est bon on sait qui est "tout le monde" ce soir, ici, maintenant avec la joie de l'enfant qui a accompli une mission sacrée. C'était peut-être tout simplement ça, tout ce que l'on espèrait, la négation de l'avenir, la perpétuation des débuts, rester au seuil, ne pas franchir l'infime barrière vers l'âge adulte. Ca aurait été facile d'y voir quelque chose de pathétique, de futile, dans cette profusion vaine d'alcool pour oublier les lendemains morts, les vies tracées, les rêves étouffés, ça aurait été justifié d'être cynique et de cracher sur le peu d'illusions qu'il nous restait... De façon assez inattendue, je m'y suis refusée. J'avais envie de me fondre encore une fois j'imagine, être la corde sensible de cette détresse riante.


On a marché ensuite pendant bien une demi heure, discuté.

- Mais, regarde-moi ça comment c'est ignoble.

- Ce n'est pas ignoble, c'est juste absurde.

- Eh bien, justement, tout ce qui est absurde est par définition ignoble.

-...

- Mais regarde comme c'est moche, l'architecture moderne, et les gens, ils disent "ah oui, c'est beau, oh là là"

-Tu crois vraiment que les gens, ils prennent le temps de se demander si c'est beau?

- Non, non... Ils s'en foutent. .

-...

- Je sais que tu dois mettre mon comportement sur le compte de l'ivresse et me trouver déplorable...

- Non, ce n'est pas ce que je fais. Je comprends.

- ...

- Quand tu te réveilles des fois le matin et que tu te demandes soudainement pourquoi les parkings existent, je crois que t'es déjà mal barré...


J'ai ouvert les yeux vers 10 heures, il prenait toute la place. Il s'était endormi dix minutes après s'être allongé. Il m'avait demandée de lui donner la main. Je savais qu'au bout d'un moment, fatalement, je lui reprendrai et me retournerai. J'avais du mal à rester collé quand je dormais. Je fuyais toujours, pour me retrouver seule et pouvoir m'abandonner... Sinon, je restais dans la retenue, je ne me laissais pas aller au sommeil.

J'ai bougé et il a ouvert les yeux. Je prends toute la place? Il faut pas hésiter à me le dire... Mais son visage était tellement détendu quand il dormait... C'était même presque effrayant de voir ces traits autant changer. Je me suis assise au bord du lit et j'ai tendu la main pour récupérer mes affaires, j'ai commencé à m'habiller. Il fallait que je sorte de chez lui, que je me retrouve seule, que j'erre dans les rues à nouveau. Être une partie du monde, un fragile et infime maillon de la chaîne, faire partie de cette constellation, m'abimer. Il m'a regardée faire sans vraiment comprendre l'urgence qui m'animait. Pas de café? Non, pas de café, juste le ciel au dessus de ma tête, le ronronnement des voitures, la lumière trop crue.


Observer les gens dans cette ronde interminable, ils passeront finalement comme des ombres, au seuil de mon monde.


J'aurais aimé que nous ayons cette liberté-là, la liberté de danser, extraits de nos vies, cette légèreté indicible, comme une chose qui serait restée en surface, tout en prenant ces racines très profondément.


5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me sens graave copine avec toi. Mais moi je ne rentre dans aucun bar, je reste sur le pont... ;)

MISS k a dit…

tres tres beau texte on reste scotché jusqu'au bout j'adore
surtout le moment ou tu racontes que tu as besoin de te retrouver pour t'endormir ...te retourner pour te laisser aller sinon le sommeil ne vient pas ................
parfaitement dit ....

émi a dit…

Lily > Tu as bien raison : sur le pont, l'ivresse est déjà là...

Miss K > aah ça sent le vécu ;)

Fishturn a dit…

Ce pont de pierre...
un jour, parceque je regardais trop les réverbères en conduisant, j'ai quitté la route et me suis retrouvé à moitié le troittoir. Me suis arrêté, ouvert la portière et me suis mis à marcher en laissant la bagnole à moitié sur la route. Ni garée, ni en train d'avancer, comme moi à l'époque.
J'avais oublié cette histoire.

beau texte.

émi a dit…

Fishturn > Quant à moi, je n'ai toujours pas le permis...