dimanche 14 octobre 2007

The Story Of My Life

24.04.2007


Je me frotte les yeux, réveil difficile. Comme coincée entre deux mondes, ma tête parle trop fort et tout ce qu'il y a autour de moi glisse sans trouver le moindre point d'ancrage. Je voudrais faire le portrait des gens qui sont là, présents en même temps que moi, mais je ne sais pas dessiner. Alors je baisse les yeux et tourne la cuillère dans mon café, je m'oublie dans son odeur, je me focalise sur le bruit que fait la cuillère au fond de la tasse. Je relève les yeux, et incidemment rencontre le regard d'un homme. La trentaine passée, cheveux mi-longs, quelque chose de sauvage dans le visage, un air résolu à arracher n'importe quel plaisir à la vie, un air qui dit "si je te veux, je t'aurais". Je détourne la tête, ce n'est pas moi qu'il cherche, je me suis sûrement trompée. Je joue à chat perché, tendue vers un seul but, j'attends patiemment que le breuvage amer soit moins chaud pour le boire, je suis au-dessus de cet expresso et j'attends, penchée, clouée, suspendue. Je reste floue, entre deux eaux, j'existe à peine, personne ne doit pouvoir me voir. Je me risque cependant plusieurs fois à lever la tête, et à chaque fois, un terrible constat s'opère, c'est bien moi qu'il regarde, moi qu'il défie silencieusement. Plus je fuis, et plus j'ai l'impression qu'il fait quand même une erreur, il s'est trompé de protagoniste pour ce jeu de chassés-croisés. Je ne suis pas celle qu'il croit trouver, je ne sais pas faire ça, je ne veux plus faire ça, faire semblant de pouvoir me donner à un inconnu, la simple idée qu'il s'imagine que cela soit possible me fait horreur. Je suis prise au piège dans son désir. Quand remonte cette bulle qui éclate à la lisière de ma conscience, je prends une grande inspiration, et avale ma première gorgée de café... Il veut savoir s'il plaît encore, s'il plaît toujours. Ca n'a rien à voir avec moi, ça n'a d'ailleurs jamais rien à voir avec moi, je ne suis qu'un prétexte vague, une excuse. Il m'a sourie quand je suis passée devant lui pour aller aux toilettes, j'ai entendu le son de sa voix, je n'ai pas répondu. Quand je suis revenue, il a attrapé mon bras, m'a fait asseoir en face de lui, je n'avais plus le contrôle de mes jambes, son audace me terrorisait.


-Vous voulez boire autre chose? Un autre café?


J'ai dit que ce n'était pas une mauvaise idée, dans ma tête, le rythme irrégulier de mon coeur battait ma peur, et tout le monde pouvait l'entendre, j'en étais sûre.


De plus près, son visage a quelque chose d'indéfinissablement taciturne. Les cernes sous ses yeux creusent ses nuits blanches, ses nuits d'insomnie.


-Vous savez que vous avez des yeux incroyables?


J'ai cru qu'il détenait un secret, quelque chose que je ne connaissais pas. Les yeux de braise, sa façon de se tenir, ça avait des allures anarchiques, il respirait la nonchalance, l'indifférence aux règles. C'était ça ma peur, lui était naturel, moi, en me donnant, je bravais un interdit, j'étais transfuge avec ma propre personne.


Force était de constater qu'il ne vivait pas en autarcie, qu'il suivait toujours les lois que tous les gens suivent, de ces rapports de séduction si peu honnêtes, il s'en était peut-être juste un peu mieux accomodé qu'un autre...


Mon appréhension s'est dégonflée comme un ballon de baudruche qu'on aurait piqué prestement, elle a éclaté dans mon esprit pour ne laisser qu'un nouveau sentiment, assez désagréable, mais bien moins déstabilisant. Le mépris. Ainsi, je reprenais les rènes, je maîtrisais à nouveau.


-Ah oui, et même que ce sont des vrais.


J'ai repensé à lui, à la façon dont on s'était rencontré. Déjà, oui, déjà, tout était là. La possibilité de le haïr, comme de l'aimer. Après, quoi? On ne fait que rejouer les mêmes souffrances et les mêmes joies constamment, outrepassant ce que l'on sait déjà.


Quand on aime sans retour, on ne compte pas, on décompte. Décompte jusqu'à la délivrance. Quelle qu'elle soit.


Je regardais l'homme qui m'offrait ce deuxième café. Si je m'intéressais à lui, je découvrirais sûrement qu'il n'était pas cette surface à laquelle je me plaisais de m'arrêter. J'apercevrais sûrement un monde de pudeur et de retenue, des blessures encore vives, des bonheurs inachevés sur fond de plaisirs assouvis.


Il n'était pas celui que j'aimais, il n'avait pas cette fureur si tangible, cette colère que je ne m'autorisais pas. Ou peut-être que si, mais je n'avais plus envie de le savoir. A quoi cela servirait-il de maintenir les apparences?


-Vous voyez, je ne sais pas ce que je fais ici. Je crois que c'est une erreur. Je vais payer ce deuxième café... Voilà, il faut que je m'en aille.


Je me suis levée, j'ai pris mon manteau, il avait l'air plus surpris que déçu, comme un enfant à qui on aurait subitement retiré un jouet de façon totalement arbitraire. Il n'y aurait pas de grosse crise de larmes ensuite, il oublierait rapidement, après avoir raconté cette anecdote une fois ou deux, ou il la tairait de peur de passer pour un incompétent. Finalement, ce qui compte, quand on devient vieux, c'est le sens de la dérision dont on peut faire preuve.


Peut-être, en fait, serait-il fasciné par ma liberté, cette main offerte au baiser, que l'on retire brutalement, parce qu'on se demande comment on a bien pu en arriver là, avoir le culot de le faire, stopper le mouvement, oser se reprendre, retirer ses billes.



J'ai franchi la porte sans un dernier regard, le sien me brûlait le dos.



Et je n'avais nulle part où aller.




7 commentaires:

Anonyme a dit…

...

tu te dis tout ça quand tu vas boire un café....

merdouille...

c'est pas un peu entêtant tout ça?

ya jamais personne qui m'a cramé le dos avec son regard...
re-merdouille

Anonyme a dit…

J'aime toujours trop comme t'écris!!!!

émi a dit…

TJ > Je vais dans les bars pour écrire... Alors bon euh. Vivre appelle le café. Voilà.

Personne t'a jamais suivi des yeux alors que tu t'en allais?
Parce que tu peux sentir le regard...
La brûlure, c'est littéraire...

Tangee > merci la miss :)

MISS k a dit…

waouuu waouuuu je te mets dans mes favoris à peine dix minutes queje vien sde découvrir ton blog et je suis déja fan
je vais faire lire ce texte à une vieille connaisance ...

émi a dit…

Miss K > Ca fait plaisir un tel enthousiasme... Mais tu sais, on se connaît déjà! J'écrivais sous le pseudo Amiante y'a encore pas longtemps ;)

Et c'est qui c'tte vieille connaissance ?

Anonyme a dit…

J'adore ton écriture... bravo pour la reprise de contrôle.. pour avoir, comme d'autre, connu ce meme genre de situation (j'écris aussi dans les bars) ce n'est pas toujours aisé d'interrompre le "tourbillon" pour "reprendre ses billes"
;-)

émi a dit…

Anna > MErci Mademoiselle... Et rien de mieux qu'un bar pour se laisser emporter par les milliers de possibilités qui stagnent en chaque personne présente...